«... Il y a là une équipe de valeur, désireuse de poursuivre un travail en commun, et un jeune metteur en scène Stanislas Grassian, à la tête déjà sûre. Cela ne court pas les rues... ».
L'humanité, février 2005
"Pour chacun d'entre nous, la dimension populaire du théâtre est essentiel " Alain Batis
Stanislas Grassian, Jean-Claude Penchenat, Alain Batis
organisateurs du Festival.
Stanislas Grassian | |
Interview (Paris) 8 octobre 2008 |
Stanislas Grassian, comédien et metteur en scène est également le directeur du Collectif Hic et Nunc, une des deux compagnies avec la Compagnie La mandarine blanche, qui a initié le Festival de création Un automne à tisser, placé sous le signe de la création et du compagnonnage, qui se déroule pour la deuxième fois en 2008 au Théâtre de l'Epée de Bois.
Deux éditions pour ce festival et pas moins de 4 créations : "Les falaises" de Stéphane Jaubertie, "Mort d'un hétéronyme" d'après Pessoa, "Le songe de l'oncle" d'après Dostoïevski en 2007 et cette année "…alias le bonheur" de Ludovic Longelin. Des spectacles particulièrement réussis et enthousiasmants qui impliquaient de rencontrer leur metteur en scène.
Une trop brève rencontre entre une réunion de travail tripartite avec Antonio Florian Diaz, le directeur du Théâtre de l'Epée de bois, et des enseignants et une représentation.
Le théâtre, pourquoi et comment ?
Stanislas Grassian : J'ai commencé le théâtre à 17 ans, à l'Ecole des Arts du Spectacle à Sarlat, où j’ai été formé au théâtre, au chant et à la danse. Le théâtre c'est comme "une maladie qu'on aurait choper tout petit" comme dirait Higelin. C'est une rencontre, en premier lieu, avec des gens qui font leur métier avec âme et qui ont su me transmettre leur passion. Faire du théâtre dans un monde où bien d'autres médias concourent à distraire les gens tels la télé, le cinéma, le sport, amène à s'interroger sur l'avenir du théâtre. Est-ce que le théâtre va mourir ou va-t-il être relégué au musée ? Pourtant, il y a quelque chose d'unique au théâtre, de l'ordre de la rencontre humaine, de la chair, de l'électricité.
J'ai vécu à l’adolescence des rencontres qui m'ont transformé, et même, sauvé. Je n'étais pas quelqu'un de très studieux mais la rencontre avec l'œuvre théâtrale m'a complètement et fondamentalement bouleversé. L'amour du théâtre m'a donné la passion du verbe et a attiser mon envie de faire partager des œuvres, des textes, découvrir des auteurs. Cette année pour le Festival un automne à tisser, je monte une pièce de Ludovic Longelin, "…alias le bonheur" qui résulte d'une envie de travailler sur la notion et le sens du bonheur aujourd’hui.
A l'origine de ce texte il y a une interrogation personnelle sur la sensation de manque que j'éprouvais alors que j'avais tout pour être heureux : je vis dans un pays libre, en tous cas, qui a les moyens de l'être ; je mange à ma faim, je dors au chaud, je me sens aimé, j'aime les gens, je me sens épanoui. Alors que me manque-t-il ? En poussant plus loin ma recherche, j’ai trouvé une réponse : Je souffre d’être coupé du sacrée. Je pense faire partie d’une génération qui a subit ce même manque face à l'absence de transmission de cette valeurs.
Comment êtes-vous venu à la mise en scène ?
Stanislas Grassian : J'ai suivi les cours de l'Ecole Marceau qui ne dispose pas d'un grand patrimoine de textes, de fonds documentaire, ce qui oblige à créer dans le silence. A ce titre c'est une formidable école de création car il fallait écrire. En étant mime, on devient dramaturge, et comme je suis un acteur de verbe, je suis revenu au texte. Je me sens proche de Jean-Louis Barrault qui était mime et acteur. Il disait que le théâtre est un art pluriel qui comprend le verbe mais aussi la danse, le chant, et même la scénographie. A son exemple, je suis arrivé ainsi à la mise en scène, en réalisant des créations où tous les participants travaillent de l’écriture à la conception du spectacle.
Vous dirigez le Collectif Hic et Nunc. Quelles sont la composition et la finalité de cette structure ?
Stanislas Grassian : Il s'agit d'une compagnie, et non d'une troupe, dont je suis le directeur artistique. Elle est constituée d'un noyau dur d'artistes. Elle comprend à l'heure actuelle un metteur en scène, un auteur, des comédiens, un éclairagiste, auquel se joignent d'autres personnes au gré des rencontres et des affinités pour des périodes d'une durée déterminée. Il n'y a pas de ligne éditoriale prédéterminée et intangible mais des projets qui résultent d'un consensus que ce soit par un choix collectif, comme pour le spectacle "Mort d'un hétéronyme" autour de Pessoa, ou sur une proposition de l'un d'entre nous. Notre prochain projet est de monter un texte de l'un de nos comédiens, Jacques Courtès, sur l'enfance qui s'intitule "Carnet d'enfance" texte qui lui tenait beaucoup à cœur.
Nous avons envie de défendre des écritures, des poètes et pour citer Kandinsky parler de notre temps, "un artiste comme enfant de son temps doit parler de son époque". C'est la raison pour laquelle j'ai eu envie de défendre l'œuvre de Ludovic Longelin parce qu'il aborde des thématiques contemporaines. Avec ce spectacle, nous essayons d’interpeller le public et notamment le jeune public. "…alias le bonheur" permet de façon poétique et burlesque, d’ouvrir le débat sur de nombreux sujets sensibles aujourd'hui.
Vous êtes donc comédien, metteur en scène, directeur de compagnie. Menez-vous d'autres activités liées au théâtre ?
Stanislas Grassian : J'enseigne à Institut Supérieur des Arts de la Scène une école pluridisciplinaire.
Vous dites être un homme du verbe. Tenez-vous également la plume ?
Stanislas Grassian : Vous me percez à jour… Je suis extrêmement sensible à l'écriture et c'est la raison pour laquelle j'ai fait la dramaturgie de deux des spectacles, l'adaptation de « Fernando Pessoa, mort d’un hétéronyme » et de « Le songe de l'oncle » de Dostoïevski. Il est vrai que j'ai écrit une pièce mais je la cache, faute de temps pour écrire, elle n'est pas à la mesure de mes espérances.
Compte tenu de la conjoncture actuelle en ce qui concerne la politique culturelle en France et les menaces de fermeture qui pèse sur certains lieux, quels sont aujourd'hui vos craintes et vos espoirs ?
Stanislas Grassian : Mes craintes ne sont pas personnelles mais globales par rapport à la culture en France. Ce qui est remarquable en France c'est qu'il y a une culture plurielle encore possible. Notre travail au Théâtre de l'Epée de bois, organiser un festival de créations en invitant de nombreuses compagnies et en assurant une centaine de représentations sur deux mois, est une forme d'engagement et de résistance indispensables car nous sentons bien que, chaque année, les difficultés s'accroissent, en termes de liberté dans la création, pour porter à la scène des auteurs contemporains et pour monter des spectacles qui ne soient pas de purs divertissements. Notre entreprise est très fragile et heureusement qu'elle est soutenue par des institutions comme l'ADAMI et la SPEDIDAM, qui défendent cette démarche, nous reconnaissent et nous protègent.
Ce festival est placé également sous le signe du compagnonnage, compagnonnage entre compagnies et également avec le lieu qui vous reçoit. Aujourd'hui puisque nous abordons le thème de la résistance celle-ci ne peut-elle passer que par la fédération ?
Stanislas Grassian : Oui. Le compagnonnage me paraît un moyen très efficace et, par ailleurs, très beau sur le principe. Je crois beaucoup à l'utilité des rencontres entre compagnies, entre pédagogues et avec le public. On ne souffre et on ne meurt que d'être isolé. Ma crainte est que l'on se voit dicter ce qu'il doit être dit et monté, qu'on devienne un théâtre musée. Bien sûr, j'ai envie de monter Shakespeare un jour mais je ne veux pas être contraint à ne monter que des pièces de Shakespeare.
Cela amène le sujet des projets de demain.
Stanislas Grassian : Dans le cadre de ce festival, nous présenterons le texte de Jacques Courtès. Par ailleurs, Pour l'avenir, nous souhaitons axer notre travail sur la diffusion car ces trois dernières années nous avons crée 4 spectacles, ce qui est beaucoup, et la finalité est bien évidemment de faire connaître ces spectacles au public en trouvant des lieux de représentation. Nous allons donc le faire au sein des deux bases de la compagnie. La compagnie est implantée en Seine et Marne ce qui nous permet d'effectuer un grand travail au sein de ce département en partenariat avec des villes comme Fontainebleau et Coulommiers et un peu aussi en Essonne.
L'autre pôle de la compagnie se situe en Dordogne car la moitié des artistes qui ont composé ce collectif était originaire d'Aquitaine. L'été nous sommes donc amenés à jouer en province, notamment à Périgueux à Sarlat. Donc tous nos spectacles seront joués dans ces deux cadres mais nous voulons aussi "exporter" nos spectacles dans d'autres lieux. Notre prochain projet consistera à monter "Le souper" de Jean-Claude Brisville qui résulte d'une commande du Théâtre de Fontainebleau.
« Mystère Pessoa : mort d’un hétéronyme
Comment peut-on passer à côté de la vie réelle, pour conter cent vies imaginaires ? Tel est le mystère qu’offre l’existence de l’écrivain portugais Fernando Pessoa. Modeste employé de bureau, il resta en effet enfermé à s’inventer des doubles, auteurs de créations les plus différentes. Ainsi, l’œuvre du poète recèle-t-elle elle-même son mystère, car comment démêler les voix divergentes que font entendre ses différents opus ? Peut-être ne faut-il pas justement faire prévaloir une voix sur une autre, mais laisser la polyphonie. Et s’il en est ainsi, quel meilleur moyen peut-on trouver pour cela que le théâtre ?
C’est l’expérience en tout cas que tente depuis un certain temps Stanislas Grassian. Mystère Pessoa, mort d’un hétéronyme met ainsi en scène Alberto Caeiro, le maître des hétéronymes, ainsi qu’Alberto de Campos, le jouisseur sensuel, et le rationel Ricardo Reis. Toutes ces créatures vont s’agiter durant un peu plus d’une heure autour de Fernando, assiéger ses nuits intranquilles. Taraudeuses et malicieuses à la fois.
Donner corps à l’imaginaire
La qualité du spectacle tient d’abord à l’interprétation de ces personnages, et en particulier à celle de Raphaël Almosni et de Jacques Courtès. Charismatiques et facétieux, ils habitent en effet la scène et donnent corps aux hétéronymes. Quant à Mathilde Le Quellec, fugace apparition féminine, elle parvient à rappeler quel sacrifice Pessoa fit de sa vie amoureuse. De son interprétation subtile, de son pauvre sourire comme de ses postures résignées surgit l’émotion. Un instant, on passe ainsi de l’autre côté : celui des êtres simples, exclus de la création.
Mais ces qualités d’interprétation sont mises par ailleurs en valeur par une mise en scène extrêmement précise. Celle-ci sait multiplier les surprises pour créer du sens ou produire un contrepoint humoristique aux idées évoquées. Certes, on se serait peut-être passé de quelques gimmicks de Pessoa, de l’espèce de flash-back que ce dernier fait des pensées que ses doubles lui soufflent ou d’un passage étrange de chant choral inexplicable. Mais, bon, ce ne sont que des détails. Dans l’ensemble, on peut dire que la mise en scène, faisant fi de la boursouflure didactique, transforme les textes de Pessoa en théâtre. Et en bon théâtre !
Musique, lumière et scénographie : tout est en harmonie
Du théâtre, d’ailleurs, de nombreuses ressources sont exploitées avec pertinence. Il y a d’abord la lumière, aussi précise que le sont les déplacements, autorisant aussi des jeux d’ombres chinoises ou modifiant les ambiances. Mais on ne saurait oublier la musique qui arrive à propos, originale et pleine d’ironie. Enfin, la scénographie, simple et picturale, avec ses nuances de bleus et d’ocres est presque un personnage. Elle dissimule des cachettes, des secrets. Elle a aussi ses doubles et se métamorphose efficacement. Un bel écrin, donc, pour un spectacle qui associe modestie et exigence pour séduire sans conteste. ¶
Laura Plas
Les Trois Coups
Stanislas Grassian crée Moi, Caravage adaptaté de La Course à
l’abîme de Dominique Fernandez.